Salaires des professeurs de l’Éducation nationale : annonces grandiloquentes et déclassement au long cours

Depuis quelques années, les rares augmentations du salaire des enseignants font l’objet d’une communication qui n’est malheureusement pas en adéquation avec la réalité :

  • En 2016, vousnousils, magazine en ligne traitant d’éducation, relaie l’annonce d’une « forte revalorisation des carrières dans le cadre du PPCR [NDLR : Parcours professionnels, carrière et rémunération] », qui entrera en vigueur en 2017.
    Or, dans une note d’information de septembre 2020, la DEPP [NDLR : Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance] constate « Si, en 2017, l’entrée en vigueur du protocole Parcours professionnels, carrière et rémunération avait fortement dynamisé les salaires des enseignants déjà rémunérés par le ministère de l’Éducation nationale l’année précédente, en 2018, sous l’effet d’une inflation plus forte, ils ont en moyenne vu leur salaire net stagner en euros constants ».
  • Le 20 décembre 2019, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, annonce que l’on est « à la veille d’une revalorisation historique des professeurs en France ».
    Il déclare également le 26 février 2020 vouloir « faire du prof français le professeur le mieux payé d’Europe, en mettant le paquet ».
    Le 18 novembre 2020, vousnousils dresse le bilan : « À partir de mai 2021, les enseignants débutants toucheront donc une prime de 100 euros nets par mois, et cette dernière sera dégressive sur les 15 premières années de carrière. De ce fait, les deux tiers des professeurs seront écartés de cette mesure, et ceux ayant entre 11 et 15 ans d’ancienneté ne toucheront que 36 euros nets de plus par mois ».
  • En juin 2022, Stanislas Guérini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, annonce « La plus forte augmentation [NDLR : du point d’indice] depuis 1985, soit 37 ans ».
    Il omet bien entendu de mentionner que cette augmentation de 3,5% a été précédée d’une stagnation non moins historique : 5 ans et 5 mois sans augmentation pendant lesquels l’indice des prix à la consommation a augmenté, lui, de 11,9%.
  • En septembre 2022, Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale promet une « revalorisation historique » et annonce une hausse de la rémunération de « 10% en moyenne » en 2023 dans un contexte où l’inflation dépasse 6% par an.
    Il annonce également que les professeurs qui accepteront des tâches supplémentaires pourront voir leur rémunération augmenter « jusqu’à 25% » dans certains cas particuliers. Si le ministère du travail s’empare de cette idée, nul doute qu’un retour aux 39 heures sera proposé aux salariés afin de maintenir leur pouvoir d’achat.

Le schéma semble désormais bien établi : des années de discussions et d’annonces grandiloquentes pour, au final, accoucher de mesurettes qui échouent ne serait-ce qu’à compenser l’augmentation du coût de la vie.
On peut constater dans le tableau suivant que la valeur du point d’indice a suivi d’assez près l’inflation (indice des prix à la consommation) jusque dans les années 1990, ce qui n’est plus le cas depuis.

DécennieNombre de revalorisations du point d’indicePourcentage de revalorisation du point d’indicePourcentage d’augmentation de l’indice des prix à la consommation
1970-197954171%140,6%
1980-19893284,6%95%
1990-19991918,8%19,2%
2000-2009158,5%18,5%
2010-201931,7%12%
2020-2022 (incomplète)13,4%8,7%
Évolutions comparées du point d’indice et de l’indice des prix à la consommation

Il est important de noter que ce décrochage n’est pas un phénomène général.
Entre 1990 et 2022, le SMIC mensuel brut a augmenté de 118%, et le salaire médian net du secteur privé a augmenté de 133% entre 1990 et 2020, ce qui compense plus que largement l’inflation – l’indice des prix à la consommation ayant augmenté respectivement de 71% et de 58% sur chacun de ces deux intervalles de temps.
Nous évoquions déjà ce phénomène l’an dernier.

Au sein de la fonction publique, certains corps ont vu le blocage du point d’indice compensé en partie par une revalorisation des grilles ou des primes, ce qui n’a été le cas qu’à la marge pour les enseignants.
Cette revalorisation au cas par cas entraîne une perte de lisibilité globale des salaires de la fonction publique : à une augmentation régulière du point d’indice – permettant à tous les salaires de la fonction publique de suivre l’augmentation du coût de la vie – a succédé une série d’augmentations fragmentaires, aboutissant à une décorrélation des salaires des différents corps de la fonction publique ; certains décrochant plus violemment que d’autres.

En utilisant le générateur de graphiques de notre Observatoire des salaires des enseignants de l’Éducation nationale, nous pouvons constater qu’entre 1990 et 2022 le pouvoir d’achat :
– a baissé de 8% pour les certifiés débutants,
– a baissé de 12 à 23% pour les certifiés ayant 12 ans d’ancienneté,
– a baissé de 17% pour les certifiés ayant 32 ans de carrière (et potentiellement de seulement 2% pour les rares élus à la nouvelle classe exceptionnelle).

Évolution du pouvoir d’achat des professeurs certifiés depuis 1990

Comme nous l’avons mentionné plus haut, le pouvoir d’achat des salariés du privé a, dans l’ensemble, augmenté. Il est donc intéressant de voir où se situe le salaire des enseignants par rapport à la distribution des salaires du privé.
On constate alors qu’un certifié ayant 32 ans de carrière en 2020 se trouve à la même place qu’un certifié ayant 12 ans de carrière en 1990 ; et qu’un certifié ayant 12 ans de carrière en 2020 se trouve à la même place qu’un enseignant débutant en 1990.
Si cette tendance venait à perdurer encore 30 ans, un enseignant en fin de carrière dans les années 2050 se trouverait à la même place dans l’échelle salariale qu’un enseignant débutant en 1990.

Évolution de la place dans l’échelle salariale des professeurs certifiés depuis 1990

Cette tendance de long terme conduit parfois à des situations individuelles ubuesques : un certifié, qui débutait en 2013 au-dessus du salaire médian (50% sur l’axe des ordonnées du graphique suivant), a pu voir son salaire passer en-dessous du salaire médian après 7 ou 8 ans d’ancienneté.

Évolution d’un certifié ayant débuté en 2013 par rapport à la distribution des salaires du secteur privé

Force est de constater que la réalité des chiffres ne s’accorde malheureusement pas aux superlatifs des discours. Nos décisionnaires utilisent la même rhétorique que les climato-sceptiques : présenter avec insistance les quelques moments où la météo est clémente pour mieux occulter le fait que l’évolution du climat est néfaste et que rien de conséquent et véritablement efficace n’est fait pour infléchir la tendance.
Ce déclassement salarial des enseignants est probablement une des causes majeures de la pénurie de candidats. Faire perdurer une telle situation ne peut qu’aboutir à des conséquences délétères de long terme : manque d’enseignants dans les classes, recrutement de personnes ayant un niveau de plus en plus faible, augmentation du turnover et perte d’enseignants expérimentés.
Ce sont les élèves qui, in fine, vont payer – et payent déjà – le prix fort de ces politiques.

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