Heures supplémentaires pour les enseignants du second degré : entre flexibilité, maîtrise des coûts, et augmentation du temps de travail

Depuis près de 20 ans, les enseignants du second degré effectuent de plus en plus d’heures supplémentaires alors même que celles-ci sont moins bien rémunérées que les heures relevant de leur service normal.

En contradiction avec les remontées des chefs d’établissements, qui insistent sur la nécessité du volontariat, une deuxième heure supplémentaire peut être imposée aux enseignants depuis 2019 (décret n°2019-309 du 11 avril 2019), et la Cour des comptes va même jusqu’à recommander en 2020 d’inclure ces deux heures supplémentaires non refusables dans le temps de service statutaire des enseignants.

Le Pacte consiste depuis septembre 2023 en de nouvelles tâches supplémentaires proposées aux enseignants (décret n°2023-627 du 19 juillet 2023). Celles-ci sont en général mieux rémunérées que les autres heures supplémentaires mais ne peuvent pas être effectuées en lieu et place des heures supplémentaires non refusables, ce qui devrait aboutir à une nouvelle augmentation du temps de travail.

Les heures supplémentaires, outil de flexibilité…

Pour les enseignants du second degré, la plupart des heures supplémentaires se présentent sous la forme d’HSA (heures supplémentaires année). Il s’agit d’heures de cours qui font partie de l’emploi du temps hebdomadaire des professeurs en plus des heures relevant de leur ORS (obligation réglementaire de service). Pour des besoins plus ponctuels (remplacement d’un collègue absent, soutien, ateliers), des HSE (heures supplémentaires effectives) peuvent être employées. L’une comme l’autre présentent la particularité d’être moins bien rémunérées en brut que les heures de cours relevant de l’ORS.
D’autres indemnités existent pour rémunérer un travail supplémentaire au forfait : indemnité de professeur principal, indemnités pour mission particulière. Elles ne sont cependant pas adossées à un nombre d’heures devant élèves.

Les HSA représentent la majeure partie des heures supplémentaires effectuées par les enseignants car elles constituent la principale variable d’ajustement permettant d’adapter le potentiel d’enseignement aux besoins structurels, qui sont amenés à évoluer d’une année sur l’autre à cause des variations démographiques ou bien des réformes modifiant le nombre d’heures d’enseignement par discipline. Dans son rapport d’octobre 2020 sur les heures supplémentaires dans la fonction publique, la Cour des comptes signale en effet que « le besoin en heures d’enseignement par discipline résulte pour chaque établissement scolaire de la combinaison de trois principaux facteurs : l’évolution du nombre d’élèves par niveau et voie de formation ; le nombre d’élèves par classe ou par structure d’enseignement ; les maquettes de formations, qui définissent des volumes horaires hebdomadaires par discipline ».

… détourné au profit d’une augmentation pérenne du temps de travail

Cependant, ces HSA sont de plus en plus détournées de leur vocation initiale pour palier aux postes non pourvus. Ainsi, dans le même rapport, la Cour des comptes signale que :
« Depuis 2015 […] le nombre d’HSA continue de croître, alors même que le nombre d’enseignants croît également. Selon les explications données par le ministère, cette progression est liée au fait que, malgré les créations d’emplois sur cette période, la sous-réalisation du schéma d’emplois, c’est-à-dire l’incapacité du ministère à recruter sur tous les emplois créés, a été compensée par un recours plus intensif aux HSA. »

La Cour des comptes évoque de manière plus détaillée ces difficultés de recrutement dans son rapport sur le budget de l’État 2022 :
« En 2022, les effectifs du ministère de l’éducation nationale (hors jeunesse, sports et enseignement supérieur) diminuent à nouveau (- 4 424 ETP [NDRL : équivalent temps plein], après – 3 987 ETP en 2021 et + 3 048 ETP en 2020) alors que la création de 50 emplois supplémentaires était prévue en LFI [NDRL : loi de finance initiale]. Les difficultés de recrutement se poursuivent (baisse des candidats aux concours et des admis) en partie compensées par l’intensification du recours aux contractuels.
L’année 2022 se caractérise surtout par un nombre de sorties très supérieur aux prévisions initiales. Avec 7 690 départs définitifs supplémentaires, ce nombre a atteint un niveau record de 59 264 en 2022. Parmi ces départs, les sorties pour retraite progressent (22 346, + 7,4 % par rapport à 2021), toutefois moins fortement que les autres sorties (36 918, + 9,3 % par rapport à 2021). Ces autres sorties sont également très éloignées de la prévision en LFI pour 2022 (30 233, soit 6 685 autres sorties imprévues), occasionnant un fort roulement des effectifs. »

Le journal Le Monde signale quant à lui, dans son article du 20 avril 2023 intitulé Pour les enseignants du second degré, les heures supplémentaires atteignent des niveaux inégalés, que les enseignants du second degré effectuaient en moyenne 1,03 HSA par semaine en 2004 contre 1,66 en 2021, et qu’en 2022 le temps de cours assuré en HSA équivalait au temps de travail de 9% des effectifs enseignants.

Constatant ce recours important et quasi-systématique aux HSA, la Cour des comptes préconise, dans son rapport d’octobre 2020, l’inclusion de ces heures dans les ORS, qui passeraient donc de 18h à 20h de cours par semaine en collège pour les professeurs certifiés.
La Cour mentionne pourtant dans ce même rapport que :
« Tous les chefs d’établissement expliquent […] que la réalisation et la distribution des heures supplémentaires au sein de l’établissement doit reposer sur la base du volontariat pour permettre une organisation sereine et constructive de l’activité ».

Bien que désormais non refusables, les deux premières HSA peuvent être imposées, ou pas, en fonction des besoins de l’établissement. L’intégration de ces deux heures aux obligations de service leur ferait automatiquement perdre le caractère flexible qui leur permet de jouer le rôle de variables d’ajustement.
Cela signifie que si cette préconisation de la Cour des comptes venait à être suivie, de nouvelles heures supplémentaires deviendraient alors nécessaires afin d’ajouter de l’huile dans les rouages, entraînant un nouvel alourdissement de la charge de travail des enseignants.

Des heures bon marché

Dans son rapport d’octobre 2020 sur les heures supplémentaires dans la fonction publique, la Cour des comptes indique que :
« Les heures supplémentaires représentent toujours un coût plus faible que les heures effectuées par les agents dans le cadre de leur service normal », et ce « même quand le niveau de rémunération des heures supplémentaires est adossé au niveau de rémunération indiciaire des agents (cas par exemple au sein de l’éducation nationale) ».

Alors que dans le secteur privé les heures supplémentaires doivent être majorées d’au moins 10% (article L3121-33 du Code du travail), on constate dans l’enseignement secondaire que les HSA des professeurs certifiés sont au contraire minorées de 22,1 % à 56,8 % en fonction de leur échelon, et leurs HSE de 2,6 % à 46 % (respectivement de 16,7 % à 52,1 % pour les HSA des professeurs agrégés et majorées de 4,1 % à minorées de 40,2 % pour leurs HSE).
Ces chiffres ont été calculés grâces aux données de notre outil Rémunération de l’heure de cours dans l’Éducation nationale dont voici les représentations graphiques pour les professeurs certifiés et agrégés :

Depuis la rentrée de septembre 2023, les missions complémentaires du Pacte proposent des heures supplémentaires en général mieux rémunérées que les HSE ou HSA (ce n’est toutefois pas le cas pour une mission de 24 h du Pacte pour les professeurs agrégés).
Ces missions, définies dans un arrêté du 19 juillet 2023, se présentent sous la forme de « briques » dont la rémunération brute est de 1250 € pouvant correspondre à :
– 18 h de remplacement courte durée dans l’année
– 24 h par an devant élève pour d’autres missions (soutien, aide aux devoirs, stages de réussite)
– un dédommagement forfaitaire pour d’autres missions non adossées à des horaires de présence devant élève (coordination de projets d’innovation pédagogique, appui à la prise en charge d’élèves à besoins particuliers).
Cependant, signer le Pacte et effectuer les missions correspondantes ne permet pas d’être exonéré des deux HSA non refusables. Par conséquent – à moins que les enseignants effectuant des HSE, ou au moins trois HSA, parviennent à troquer celles-ci contre des missions du Pacte – il y a fort à parier que cette nouvelle mesure ne fasse qu’augmenter le temps de travail, alors que celui-ci était déjà en moyenne de 42 h 53 par semaine en 2010 pour les professeurs certifiés d’après la note de la DEPP n° 13.13 et que le métier traverse une crise du recrutement.

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